Ville durable AMO et recherche

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La notion de ville durable recouvre des sujets de plus en plus nombreux, complexes et évolutifs dans leur définition. S’entourer des bons Assistants à Maître d’Ouvrage au bon moment est indispensable. 
Les chercheurs ont également un rôle utile à jouer pour faire progresser les connaissances, et les opérations d’aménagement leur fournissent des terrains d’expérimentation précieux.

 

Entretien avec Ghislain Mercier, Responsable Ville durable et nouveaux services (P&Ma)

En quoi consiste votre fonction de responsable ville durable et nouveaux services ? 

Créer une ville durable implique de prendre en considération un grand nombre de sujets, souvent techniques et complexes. Mon rôle est d’aider les chefs de projet à les intégrer à la conception des opérations. Non pas en les déchargeant de ces sujets, mais en travaillant avec eux, dans le contexte propre à chaque opération, pour monter les marchés d’études ou d’Assistant à Maître d’Ouvrage (AMO), sélectionner les bons partenaires, analyser les offres et les résultats… De cette manière, chacun monte en compétence, eux comme moi. Ma fonction étant transversale, je peux faire bénéficier chaque projet de l’expérience acquise sur les autres. 
Cette fonction intègre une mission importante de communication. Je suis une sorte de "passeur" sur le sujet de la ville durable. Le partage d’un projet, au sein des équipes de la SPL mais aussi avec les parties prenantes externes, professionnelles ou grand public, suppose un socle commun de connaissances. Comme les sujets que nous traitons sont souvent nouveaux, et font appel à des notions techniques assez peu répandues, le partage des connaissances devient une tâche essentielle de l’aménageur. C’est aussi une mission de service public. Quand nous faisons faire une étude très approfondie, donc forcément assez coûteuse, pour définir la stratégie énergétique d’un projet par exemple, nous disposons d’une matière idéale pour expliquer les enjeux, les scénarios examinés, les arbitrages qui ont été faits… Et c’est ce que nous faisons, par des publications, des "petites conférences" de Saint-Vincent de Paul ouvertes à tous, en accueillant des groupes de professionnels ou d’étudiants. 

Et les "nouveaux services" ? 

C’est l’autre partie de ma mission. On pourrait voir dans cette expression une allusion à la smart city. Ce n’est pas le cas. Notre démarche est avant tout contextuelle. Nous partons des ambitions environnementales qui sont celles de nos projets pour aller vers des solutions, et celles-ci se traduisent souvent par la création de «nouveaux services», expression qui peut recouvrir différentes choses. Il y a d’abord de nouveaux services rendus à notre concédant. Certains enjeux ne sont pris en charge par personne aujourd’hui. Par exemple, pour atteindre les performances énergétiques voulues dans un écoquartier, il ne suffit pas que l’aménageur impose des règles aux opérateurs immobiliers. Il faut s’assurer que les installations fonctionnent et soient utilisées correctement. Qui devrait s’en charger, que doit faire l’aménageur avant, pendant et après la livraison, comment financer ce service ? C’est un sujet à forts enjeux sur lequel P&Ma travaille avec la Ville de Paris et d’autres partenaires, dans le cadre du programme CoRDEES. Dans d’autres cas, nous travaillons sur la définition de services qui seront clairement assurés par d’autres que nous, mais qui n’existent pas encore, comme la collecte séparative des urines ou la centrale de mobilité du futur quartier Saint-Vincent-de-Paul. Ce sont des projets dans le projet. 

Comment vous entourez-vous des compétences techniques nécessaires ? 

Il est certes important d’identifier les bonnes personnes, mais aussi de pouvoir leur confier les bonnes missions au bon moment. D’où le recours à des AMO, des groupements de compétences que l’on peut mobiliser sur des questions précises. Nous passons par des accords cadres, qui nous permettent de définir nos besoins au fur et à mesure, de manière beaucoup plus souple que les marchés à bon de commande. Leur rédaction appelle un savoir-faire que P&Ma a eu l’occasion de développer sur plusieurs sujets inédits, tels que l’équipement public mutualisé Pinard dont nous avons parlé dans le dernier numéro de Façons de Faire, ou le schéma directeur de réemploi des matériaux, sur Saint-Vincent-de-Paul.

Quelle organisation avez-vous mise en place pour aborder les questions environnementales du projet Saint-Vincent-de-Paul ? 

L’ambition du projet est résumée par la formule "zéro carbone, zéro déchet, zéro rejet". Sur chaque thématique, nous avons élaboré la stratégie avec un AMO spécialisé, qui a fourni des cahiers de prescriptions. Dans un second temps, nous avons recruté un AMO général pour nous aider à les mettre en œuvre, et apporter toutes les expertises techniques nécessaires le moment venu. Nous avons reçu cinq offres de très bonne qualité, chacune avec un point fort particulier. Notre choix s’est porté sur le groupement Alto – Thierry Maytraud – Climat Mundi, dont le caractère distinctif était d’être le plus contextuel dans sa réponse ; il intégrait particulièrement bien la dimension participative du projet. 

P&Ma participe également à des programmes de recherche…

Il est important d’être à l’écoute de la recherche car, sur nombre de sujets, nous savons assez peu de choses. Et si nous voulons que la recherche produise des résultats utiles aux opérations d’aménagement, il faut lui permettre de se nourrir d’observations de terrain. À Paris, nous avons la chance de travailler sur des projets innovants, dans des conditions économiques plutôt favorables. Ouvrir nos projets à des travaux de recherche d’intérêt général est une bonne manière de partager les moyens dont nous disposons. Nous construisons des partenariats dans lesquels P&Ma apporte des terrains d’expérimentation mais aussi collabore aux travaux.
 

Un nouveau service : la centrale de mobilité

La future centrale de mobilité de Saint-Vincent-de-Paul offrira des places de stationnement mutualisées et des services tournés vers l’autopartage, le covoiturage et l’usage des modes doux. Elle est partie intégrante du lot Denfert. Les candidats sont invités à présenter un projet de construction en infrastructure facilement mutable vers d’autres usages à terme ainsi qu’un exploitant gestionnaire.

Les accords cadres mono-attributaires nous permettent de préciser nos besoins d’assistance au fur et à mesure de l’avancement de la réflexion confiée au prestataire et de les traduire en marchés subséquents. Quand les besoins sont en partie connus à l’avance, l’accord cadre comprend des prestations définies et référencées dans un bordereau de prix. L’accord cadre portant sur la mise en œuvre de la stratégie a été conclu par dérogation pour une durée de 6 ans afin de suivre des indicateurs de performance au-delà de la date de livraison des ouvrages (consommations énergétiques par exemple). 

Participer à la recherche appliquée en urbanisme opérationnel

P&Ma est engagé dans plusieurs programmes de recherche appliquée, ses opérations – Clichy-Batignolles, Saint-Vincent-dePaul et désormais Chapelle-Charbon et Gare des Mines – servant de terrain d’expérimentation. L’objectif est de faire progresser la connaissance afin d’améliorer les «façons de faire» ou d’aider les prises de décision.
 

La recherche vise à faciliter la décision 

«Il est essentiel pour nous, chercheurs, de confronter nos modèles à des données et des situations réelles. Nous voulons vérifier que nos travaux répondent bien aux questions que se posent les décideurs, l’aide à la décision étant le fondement de nos choix stratégiques de recherche. Dans le cadre du projet CoRDEES, nous avons proposé un cahier des charges relatif aux capteurs, en termes d’usages instrumentés, de pas de temps de mesures, de localisation des sondes ou encore d’échantillonnage spatial. Nous apportons aussi des enseignements. Par exemple un regard critique sur les prévisions initiales de consommation énergétique, souvent optimistes faute de modèles suffisamment élaborés et fiables.» 

Thomas Berthou 
Chercheur à Mines ParisTech 

 

Modéliser le fonctionnement énergétique d’un quartier 

Les données énergétiques (puissances, températures) collectées à grande échelle dans le cadre du projet CoRDEES offrent à la recherche une opportunité unique pour modéliser le fonctionnement énergétique d’un quartier. 
    L’école des Mines ParisTech s’est ainsi associée à CoRDEES pour perfectionner et valider un modèle énergétique expérimental sur lequel ses laboratoires de recherche travaillent depuis plusieurs années (Smart-E). 
    Ce modèle vise à simuler le fonctionnement énergétique d’un territoire à partir de paramètres relatifs à la morphologie urbaine, à la démographie et aux usages des bâtiments (les transports ne sont pas pris en compte). De telles informations sont aujourd’hui accessibles sous la forme de bases de données couvrant l’ensemble du territoire français (IGN, INSEE), ce qui permet d’automatiser le paramétrage du modèle. 
    Un tel modèle pourrait ainsi, en faisant varier des paramètres, simuler des scénarios d’action publique de maîtrise de l’énergie (rénovation, introduction d’énergie renouvelable, sensibilisation, flexibilité…). Il pourrait alors évaluer et comparer leurs effets, ce qui en ferait un outil peu coûteux d’aide à la décision pour les collectivités et les futurs facilitateurs de quartier.     
    Toutefois, pour que ce modèle soit suffisamment robuste et générique, il faut qu’il soit capable de décrire la réalité du fonctionnement énergétique du territoire avec une faible marge d’erreur (5% est un maximum). C’est l’objectif de l’expérimentation menée dans le cadre de CoRDEES. 
    Grâce aux données réelles de consommation recueillies à Clichy-Batignolles et à des observations de terrain introduites dans des équations sophistiquées relevant de la statistique bayésienne, les chercheurs ont pu calibrer le modèle, c’est-à-dire réduire l’écart entre les consommations simulées et les consommations réelles. 
    Le modèle a ensuite servi à évaluer, de manière théorique, les effets d’une mesure de «flexibilité thermique», autrement dit de pilotage de la demande: que se passe-t-il, en termes de consommation et de confort, si un gestionnaire compétent à l’échelle du quartier (1400 logements dans la simulation) coupe ou baisse le chauffage pendant deux heures ? Pour comprendre l’intérêt de ce type de simulation, il faut se rappeler que, dans la perspective d’un approvisionnement énergétique national reposant de plus en plus sur des énergies renouvelables en partie intermittentes, un pilotage de la demande sera vraisemblablement nécessaire. 
 

Inscrire la fabrique urbaine dans l’économie circulaire

Saint-Vincent de Paul a été retenu comme site d’expérimentation par l’équipe de recherche du projet PULSE-Paris1. Ce projet vise à produire une méthode opérationnelle pour appliquer les principes de l’économie circulaire à l’aménagement en utilisant des outils d’analyse du cycle de vie. La méthodologie sera testée sur plusieurs îlots destinés soit à la rénovation soit à la démolition/ reconstruction. P&Ma y contribuera en mettant à disposition de l’équipe les travaux de ses AMO et la maquette BIM du projet urbain, qui devrait intégrer des données relatives aux matériaux et à leur cycle de vie, ainsi qu’en facilitant la participation des opérateurs immobiliers et des entreprises à la démarche. 

Un outil de conception des projets urbains qui intègre leur résilience climatique et leurs effets sur la santé 

Les formes urbaines, les choix d’aménagement et de construction ou encore les usages de la ville ont un impact relativement bien documenté sur les microclimats urbains, sur le confort et sur la santé (acoustique et qualité de l’air en particulier). Comment intégrer ces connaissances à la conception des projets et en faire des paramètres d’aide à la décision? C’est à cette question que veut répondre le programme de recherche MESH2C (Morphology, Environment, Sustainability and Human comfort – City Climate)2 auquel P&Ma s’est associé. Le programme, qui prolonge des travaux de recherche antérieurs, vise à construire un outil de conception paramétrique grâce auquel les concepteurs pourront tester des solutions en mesurant leurs impacts. Ces solutions seront soit grises, touchant aux formes urbaines et architecturales, aux matériaux et aux systèmes, soit vertes et bleues, organisant la présence de la nature et de l’eau en ville, soit encore douces, liées aux usages, pratiques et modes de gestion. 
    L’innovation réside en particulier dans la capacité de l’outil à guider la conception, et non pas seulement à l’évaluer a posteriori, grâce à l’association d’un modeleur 3D et d’une interface de programmation visuelle. Les opérations Gare des Mines et Chapelle Charbon serviront de terrain d’expérimentation pour le développement de l’outil. P&Ma sera le garant de sa pertinence opérationnelle et apportera son expérience de maître d’ouvrage. 
 

Garder les pieds sur terre et intervenir au moment opportun 

« En mobilisant son expertise et en proposant des sites de projet, P&Ma nous permet de garder les pieds sur terre et d’assurer la pertinence de nos recherches en les orientant pour qu’elles répondent à des questions posées par les habitants, les décideurs et les urbanistes. Une bonne gestion du temps est également essentielle. Avec P&Ma, nous déterminons le moment judicieux pour mobiliser une expertise computationnelle et créer des temps d’échange entre chercheurs et urbanistes. Saisir l’instant idéal est complexe car il faut bénéficier d’intentions précises des concepteurs et maîtres d’ouvrage tout en gardant une marge d’amélioration suffisante. Nous avons besoin de beaucoup de finesse pour apporter des informations utiles aux urbanistes. »

Franck Boutté 
Président de Franck Boutté Consultants 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PULSE-Paris (Écoconception des Projets Urbains et Liens avec la Stratégie Économie circulaire de Paris). Projet mené à l’EIVP en partenariat avec Mines ParisTech, financé par l’ADEME (MODEVAL URBA 2017).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2 MESH2C (Morphology, Environment, Sustainability and Human comfort – City Climate) 
Projet sélectionné par l’ADEME dans le cadre de l’appel à projets de recherche MODEVALURBA 
(Modélisation et évaluation au service des acteurs des territoires et des villes de demain), 4e Édition 2019. 

L’équipe 

  • Franck Boutté Consultants 
  • École des Ponts, ParisTech 
  • Echoes.Paris 
  • Soleneos 
  • P&MA