Le site de Saint-Vincent-de-Paul est relativement exigu, contraint par un accès unique et largement occupé par des bâtiments patrimoniaux conservés. La circulation de poids lourds, mais aussi le stockage des matériaux dans l’enceinte du chantier soulèvent ainsi d’épineuses questions logistiques, que P&Ma a voulu anticiper.
L’enjeu est considérable car, en l’absence de mutualisation, les volumes de matériaux de second oeuvre sont estimés à 11 200 palettes, soit 1 120 camions de livraison sur 24 mois pour 8 principaux chantiers.
Pour s’y préparer, P&Ma a signé en 2021 un accord cadre avec le groupement Smart Construction Logistics, pour la mise en oeuvre d’une solution globale mutualisée, comprenant l’exploitation d’une plateforme logistique déportée basée aux Ulis (91), un ensemble de services apportés aux entreprises, ainsi que des prestations d’étude et d’accompagnement.
Six programmes, trois bâtiments neufs et trois réhabilités dont un avec surélévation, sont concernés par cette organisation, totalisant près de 57 000 m² de SDP.
Le dispositif en bref
Grâce à ce dispositif, les entreprises ne feront pas livrer leurs matériaux et fournitures sur place, mais les feront acheminer par leurs fournisseurs sur la plateforme logistique déportée. Chacune pourra ensuite commander à l’opérateur logistique les produits dont elle a besoin le jour J en fonction de l’avancement du chantier. Les livraisons seront groupées pour plusieurs entreprises afin d’optimiser le chargement des camions desservant le site des travaux.
Pour le voisinage et pour le chantier lui-même, cette économie de trafic présente un intérêt évident, puisqu’elle réduit les nuisances et l’encombrement de l’espace ou encore le risque d’accident. L’objectif de P&Ma est de réduire de 30 à 50 % les nuisances générées par les livraisons (nombre de camions × temps passé en circulation) tous chantiers confondus.
Pour les entreprises, l’avantage de cette gestion en flux tendu est un gain d’efficacité : plutôt que de réceptionner les fournitures à l’avance, de les entreposer dans une zone de stockage sur la ZAC pour les récupérer ultérieurement, elles se font approvisionner en temps et en quantité utiles par rapport à leur planning de travaux. L’objectif est ici de réduire les tâches de manutention, qui génèrent d’importantes pertes de temps et des risques pour la santé et la sécurité des ouvriers.
Smart Construction Logistics pilotera le dispositif au moyen d’une solution digitale traitant les données d’approvisionnement et de stock, de transport, de planning de chantier et de consommations carbone. En particulier, il permettra aux entreprises de passer leurs appels de livraison en ligne.
L’importance de l’anticipation
La mutualisation de la logistique de chantier à l’initiative de l’aménageur est une pratique nouvelle : P&Ma est parmi les deux premiers à l’envisager. La démarche a été lancée longtemps à l’avance et annoncée en amont des consultations de maîtrise d’ouvrage de manière à l’intégrer à leurs obligations contractuelles vis-à-vis de l’aménageur. Ils savent ainsi qu’ils devront en tenir compte dans leurs dossiers de consultation d’entreprises.
La période d’anticipation a été mise à profit pour concevoir les grandes lignes du dispositif, dans le cadre d’un dialogue compétitif auquel trois groupements ont participé. Ce dialogue a permis de configurer la prestation de base de l’opérateur – qui s’impose aux entreprises – et un ensemble de prestations complémentaires à la carte, au choix de ces dernières.
Prestations de base et complémentaires
La prestation de base comporte la mise à disposition de la plateforme, le lissage des flux, le transport et la manutention, ainsi que la régulation du trafic sur le chantier. Elle porte sur environ 80 % des flux concernés (les flux non concernés sont ceux liés au gros oeuvre ou apportés par des camions complets de produits à mise en oeuvre immédiate (placo-plâtre, menuiseries extérieures…). La prestation de base sera rémunérée par les maîtres d’ouvrage au travers du compte prorata interchantiers de la ZAC.
Au-delà, les entreprises pourront également solliciter des prestations complémentaires : transport ou stockage (dont matériaux de réemploi), mais aussi manutention à pied d’oeuvre, atelier au sein de la plateforme, collecte des déchets de chantier, ou encore constitution de kits (kitting) avec le déballage des palettes réceptionnées et le regroupement de différents articles à poser ensemble par l’entreprise. Ces prestations seront à la charge de chacune des entreprises intéressées.
Si le dialogue compétitif a permis de mener à bien de premières simulations visant à pré-dimensionner la solution proposée, elles restent à affiner : il s’agira de préciser le service apporté aux entreprises, en termes de prix et de bénéfice, afin qu’elles puissent en tenir compte dans leurs offres. Ces éléments seront précisés dans une charte logistique à rédiger avant la consultation des entreprises de travaux.
Des gains potentiellement importants, à évaluer
À ce jour, faute de référence comparable, seuls des calculs prévisionnels permettent d’estimer les bénéfices économiques globaux apportés par la mutualisation de la logistique de chantier, d’autant qu’elle dépendra du volume de prestations complémentaires sollicitées par les entreprises.
Le raisonnement et les ordres de grandeur sont les suivants. Smart Construction Logistics estime que le service proposé apporte un gain net de 1 % à 5 % du coût global de la construction, coût d’investissement compris. Selon le groupement1, ce résultat serait obtenu par les gains directs ou indirects tirés de l’optimisation des délais, par la réduction des coûts de main-d’oeuvre ou des accidents du travail liés à la manutention, des frais de transport et des pertes de matériaux.
Ces gains ne sont à ce stade que potentiels et, étant répartis sur la chaîne de valeur (entreprises et maîtres d’ouvrage), leur répercussion sur les prix de vente des programmes reste essentiellement virtuelle. Il n’en reste pas moins que la mutualisation de la logistique de chantier est une piste prometteuse dans ce sens.
Sur ces questions de modèle économique, comme sur l’impact environnemental de la logistique mutualisée, l’expérience menée à Saint-Vincent-de-Paul est de nature à faire progresser les connaissances et les pratiques. L’accord cadre prévoit la mise en place d’indicateurs de performance, un reporting continu grâce aux données collectées par le système d’information, ainsi qu’une évaluation à la fin des chantiers.
1 Le groupement Smart Construction Logistics réunit :
- KS Services (mandataire) : gestion de la logistique opérationnelle sur la plateforme interchantiers et sur le site
- IMMA : études logistiques, conduite du changement et accompagnement des acteurs
- Balme Conseil : direction de projet, expertise supply chain et accompagnement des acteurs
Il mobilisera également :
- Teamoty : solution digitale
Un nécessaire accompagnement des entreprises
Dans un premier temps, un accompagnement s’impose pour faciliter la participation des entreprises et des maîtres d’ouvrage à la démarche de mutualisation. Il s’agira de les sensibiliser aux coûts cachés de la logistique individuelle, de montrer en quoi une logistique mutualisée permettra de les réduire et d’accompagner les différents utilisateurs dans l’utilisation du dispositif.
Les chantiers de construction devraient se dérouler du 3e trimestre 2022 au 2e trimestre 2025, soit une durée prévisionnelle de mobilisation des moyens logistiques communs estimée à ce stade à 30 mois.
Le modèle économique de la logistique de chantier mutualisée
D’après le groupement Smart Construction Logistics, la mutualisation de la logistique des chantiers, d’une manière générale, peut se traduire par une réduction significative du coût global de la construction (investissement compris).
Les investissements nécessaires à la mutualisation sont équilibrés par les grains directs réalisés par les entreprises grâce à la réduction des délais.
En tenant compte des gains indirects (ou coûts économisés), le dispositif peut même permettre une économie globale allant jusqu’à 5 % du coût global de la construction.