Pourquoi et comment "habiter autrement" ?
Une première évolution : augmenter l'espace à vivre
À Clichy-Batignolles, nous avons incité les opérateurs immobiliers à intégrer à leurs projets des espaces partagés, en particulier pour offrir aux habitants plus que la surface habitable comprise dans les murs de leurs logements. L’accès à une salle commune, une laverie collective, une salle de sport, une chambre d’ami partagée, augmente l’espace à vivre. Les jardins en cœur d’îlot ou en toiture apportent bien plus qu’un balcon ou qu’une loggia. Certains programmes devraient accueillir des services de type conciergerie. Le bénéfice est triple puisqu’il s’agit à la fois d’agrandir l’espace disponible à foncier constant, de favoriser une vie de voisinage plus conviviale et plus riche, et d’ajouter une dimension servicielle à l’offre de logement.
Aller plus loin : en reconsidérant les usages du logement
Il faut pourtant aller plus loin : c’est en profondeur que l’évolution des modes de vie et de la société invite à repenser l’habitat. Le logement standard, avec ses pièces aux fonctions assignées et aux dimensions normées, n’est plus adapté à des ménages à géométrie variable tandis que les frontières entre vie privée et vie professionnelle s’assouplissent et que le travail s’invite à domicile. Tout en poursuivant la démarche engagée en termes de partage d’espaces, nous devons aussi reconsidérer la composition, les usages et l’adaptabilité des logements. Pour mieux adapter l’habitat aux besoins de ses utilisateurs, une démarche de bon sens consiste à les associer à sa conception. Mais l’enjeu de cette participation est plus grand encore.
Mode d'habiter et responsabilité environnementale ont partie liée
Il apparaît de plus en plus clairement que la performance environnementale des bâtiments ne peut être atteinte sans une gestion rigoureuse et sans la participation active des usagers. L’exemple de Clichy-Batignolles, là encore, est éclairant. Les études menées après la livraison des bâtiments ont montré que l’exploitation des installations de chauffage et l’utilisation des équipements énergétiques sont primordiaux pour atteindre les performances énergétiques visées. D’où le dispositif de « facilitation » actuellement déployé grâce à un financement européen (projet CoRDEES). Les solutions techniques, pour mesurer les consommations et optimiser les réglages, existent. Le véritable enjeu est de parvenir à les mettre en œuvre, ce qui à l’échelle d’un quartier ou même d’un immeuble, pose des questions complexes de responsabilité, d’engagement, en un mot de gouvernance collective, sans parler de formation.
Finalement, habiter est un acte à la fois privé, collectif et citoyen. Comment faire en sorte qu’il se déroule le mieux possible : c’est ce que nous voulons définir non pas en fixant des règles a priori, mais en invitant toutes les parties prenantes concernées à y réfléchir collectivement autour d’un cas concret.
Paul Meurice : première consultation innovante
Nous avons décidé d’expérimenter une démarche « habiter autrement » sur le dernier lot de terrain à vendre du secteur Paul Meurice à la Porte des Lilas (20e). Portant sur 4000 m2 de logements en accession, dans un quartier attractif pour les propriétaires occupants, l’îlot E1 offrait la bonne échelle et la bonne situation pour questionner les standards habituels de l’habitat et appliquer une démarche de conception participative. Le règlement de consultation comportait un chapitre complet et assez directif sur les attentes relatives aux nouveaux modes d’habiter, en complément de ceux consacrés plus classiquement aux exigences urbaines, architecturales et environnementales. Les critères d’analyse qualitative des offres sont répertoriés ci-dessous.
Enjeux | Objectifs | Elements analysés |
Qualité de l'habitat | Produire une offre d'habitat non standard, répondant aux attentes des habitants et respectant les fondamentaux | Composition et adaptabilité des logements, multi-orientation, lumière, générosité de l'espace à vivre, espaces extérieurs et espaces partagés, services aux habitants, participation des usagers à la conception. |
Appropriation du projet par les habitants | Impliquer les acquéreursle plus en amont possible, inciter les habitants à la responsabilité environnementale | Mode de commercialisation et d'implication des acquéreurs, optimisation du calendrier |
Maîtrise des charges | Permettre l'adoption d'un mode de gestion adaptée et durable | Co-conception, gouvernance, suivi, budget alloué à la gestion, économies de charges |
Qualité urbaine, paysagère et architectural | Equilibrer des échelles métropolitaine et faubourienne, souligner la trame paysagère et les continuités urbaines | Volumétrie, adressage et accessibilité, rez-de-chaussée, structure |
Performances environnementales | Respecter l'engagement triple 0, favoriser la gestion économe et responsable des habitants | E+C-, éclairage naturel, ENR, ventilation, labels, gestions des déchets, gestions des eaux pluviales, suivi des consommation, mobilités |
Importance de la maîtrise d'usage
Trois groupements pilotés respectivement par OGIC7, Brémond8, et Giboire9 ont été sélectionnés sur la base notamment de la qualité de leurs notes d’intention. Ces dernières portaient en grande partie sur des propositions liées à la commercialisation et à la conception d’une offre de logements innovante. Ensuite, nous avons choisi en concertation avec chacun des trois promoteurs et dans le cadre d’une commission réunissant les élus, les services de la Ville et l’aménageur l’une des trois agences d’architecture qu’il leur avait été demandé de présenter.
Les attendus du cahier des charges appelaient de la part des candidats la constitution d’équipes compétentes en matière de maîtrise d’usage, capables en particulier d’associer les futurs habitants à la conception de leur propre logement, mais aussi des espaces partagés, et d’intégrer en amont des dispositifs d’optimisation des charges et de maîtrise de l’énergie.
Cette diversité de compétences et la taille de telles équipes impliquent par ailleurs un partage des rôles précis entre ses différents membres, sous le leadership du maître d’ouvrage qui doit coordonner les nombreuses expertises requises. Il s’agit en effet de permettre à l’intelligence et à la responsabilité collectives, d’être impliquées de la conception à la livraison et au-delà.
7. OGIC
Architecte : Sophie Delhay
Paysagiste : Philippe Niez Studio
BE DD : Amoès
AMU, syndic, collectif : BVA, Quatorze, notaire Thibierge, SERGIC
Autres BE : Entreprise S2T (BE construction bois), CBS (bois), AGRONERGY (concepteur exploitant chaufferie biomasse), Infime, Meta acoustique, ECAU (VRD), Suez (eau et déchets), Maximum (réemploi), E-Green (suivi énergétique).
8. Brémond-Lamotte
Architecte : NeM
Paysagiste : Sensomoto
BE DD : OASIIS
AMU, syndic, collectif : Promoteur de Courtoisie Urbaine, SYNDICEO, FALTAZI
Autres BE : Entreprise LWI (bois).
9. Giboire
Architecte : LA Architectes
Paysagiste : Les Saprophytes
BE DD : Amoès
AMU, syndic, collectif : HabX, Ya+K, Lefeuvre, Appart&Sens
Autres BE : Entreprise E-Green (suivi énergétique), Arbonis (bois).
Le choix final du groupement Giboire
En seconde phase, l’axe « habiter autrement » a donné lieu à des offres très complètes et intéressantes de la part de chacune des trois équipes d’opérateurs, démontrant ainsi la diversité et la richesse des propositions autour de ce thème encore trop peu exploré. C’est finalement la cohérence globale du projet, sa capacité à concilier innovation, qualité d’usage et insertion urbaine qui a été déterminante. Le groupement retenu constitué par le promoteur Giboire, propose un dispositif complet permettant d'associer les futurs habitants à la conception du projet et de faire vivre cette démarche d'appropriation après la livraison.
La commercialisation sera confiée à la société Habx, qui recrutera les prospects et concevra avec eux, à l’aide de son logiciel spécialisé, l’agencement de leur appartement. La livraison de logements sans finition permettra aux acquéreurs de travailler avec l’architecte à leur personnalisation. Les logements seront vendus, grâce à un mandat confié à Appart&Sens, à des investisseurs privés s'engageant à louer à des personnes éligibles au parc social.
Les espaces communs seront conçus, et certains usages déterminés, avec les habitants dans le cadre d’ateliers organisés par le collectif Ya+K durant le chantier. Celui-ci prévoit notamment de travailler sur les limites entre espaces privés et collectifs et d’accompagner la co-production d’aménagements tels que des abris vélos, des composteurs, des aires de jeu…
Afin de pérenniser l’implication des habitants, les acquéreurs seront invités à signer au moment de la réservation une charte les engageant à respecter un ensemble de valeurs et de comportements cohérents avec l’exemplarité voulue pour la résidence en termes d’environnement et de vie collective.
La désignation en amont d’un syndic de copropriété (Lefeuvre) permettra d’intégrer cette même ambition à la gestion future. Giboire financera des ateliers de management de l’énergie ainsi qu’un abonnement de cinq ans à la plateforme de gestion responsable de l’énergie E Green. D’autres services seront gratuitement mis à disposition de la copropriété pour un test d’un an : une application facilitant les relations entre résidents / copropriétaires / syndic, une conciergerie et un Happiness Manager.
Saint-Vincent-de-Paul : « habiter autrement » à l’échelle d’un quartier
Le partage est un axe majeur de la conception, la réalisation et à terme la gestion du quartier Saint-Vincent-de-Paul. C’est dans l’air du temps, mais c’est aussi une valeur profondément inscrite dans l’histoire hospitalière du site, réécrite aujourd’hui par l’expérience des Grands Voisins, et pérennisée demain dans le quartier que nous construisons. Co-conception, participation, mutualisation, création de « communs urbains »10 sont les principes que nous mettons en œuvre avec l’aide du Sens de la Ville, AMO en projet urbain collaboratif et maîtrise d’usage, et qui s’appliquent largement à l’habitat.
« À Saint-Vincent-de-Paul, l’expérience des Grands Voisins a constitué un terreau sur lequel l’aménageur a naturellement développé sa propre démarche participative. C’est devenu un axe structurant du projet d’écoquartier, qui concerne l’ensemble de la programmation et se traduit par différentes méthodes. Elles visent en premier lieu à incorporer, dès le début, la maîtrise d’usage que possèdent les habitants, les acteurs économiques, les gestionnaires afin d’améliorer la qualité et la pertinence des projets. Nous attachons aussi une importance particulière aux « communs », c’est-à-dire tout ce que les usagers du quartier seront amenés à partager : des espaces, des relations de voisinage, des services mutualisés, de l’énergie, des écogestes. Là aussi, la participation est fondamentale car elle permet de préparer l’appropriation du projet par ceux auxquels il est destiné, et qui le feront vivre. » Vincent Josso11.
1. Façade Denfert - 6 700 m² - Accession et locatif intermédiaire
Consultations prévues au Printemps 2019 - Les objectifs de l'aménageurs sont directement intégrés au cahier des charges des consultations.
2. Îlot Lelong - 10 300 m² - Accession et locatif social
Consultation en cours : Urban Coop avec Paris Habitat ; Vinci Redman et I3F ; Bouygues Immobilier et Demathieu et Bard avec Batigère ; Quartus et Habitat et Humanisme - Les objectifs de l'aménageurs sont directement intégrés au cahier des charges des consultations.
3. Îlot Chaufferie - 10 700 m² - Locatif social et intermédiaire en maîtrise d'ouvrage directe
Concours de maîtrise d'oeuvre en cours : Paris Habitat avec Aurore, gestionnaire du centre d'hébergement d'urgence - Les bailleurs titulaires sont invités à s'associer à la démarche pour une méthodologie adaptée au logement social.
4. Îlot Petit - 14 000 m² - Locatif social et intermédiaire en maîtrise d'ouvrage directe
Concours de maîtrise d'oeuvre en cours - Les bailleurs titulaires sont invités à s'associer à la démarche pour une méthodologie adaptée au logement social.
5. Îlot Lepage - 2 700 m² - Locatif social et intermédiaire en maîtrise d'ouvrage directe
Lancement du projet en 2019. Ce sera le premier programme d'habitat participatif en ZAC à Paris - Un bailleur social sera choisi pour piloter l'opération globale.
10. Ensemble des dimensions collectives du quartier.
11. Vincent Josso, associé de la coopérative Le Sens de la Ville, AMO en projet urbain collaboratif et maîtrise d’usage.