Pour la ZAC Chapelle Charbon (Paris 18e), P&Ma a voulu maximiser le recours aux matériaux biosourcés ou géosourcés. Avec le concours des maîtres d’ouvrage, dont la RIVP, cette ambition est en train de se concrétiser.
La RIVP construira le lot A, entièrement dédié à un programme en BRS1, pour la Foncière de la Ville de Paris. Elle réalisera également le lot C, comprenant des logements locatifs sociaux et intermédiaires, en maîtrise d'ouvrage directe. Les consultations d’entreprises sont prévues dans le courant de l’été 2024.
Que pensez-vous de l'ambition « bio et géosourcée » de l'opération Chapelle Charbon ?
Claire Curtil. C’est une ambition et une volonté que nous défendons depuis longtemps. La RIVP y souscrit naturellement et adopte d'ailleurs des démarches du même ordre dans ses propres opérations : bois, matériaux de réemploi figurent depuis un moment déjà dans nos cahiers des charges. Il est bon qu'un acteur public du logement social réalise de tels programmes car c'est à travers des exemples que la conscience des enjeux de la transition écologique va gagner du terrain.
Il est vrai que cette ambition occasionne des contraintes pour le maître d’ouvrage, sur les plans technique et financier. Les surcoûts occasionnés sont parfois inhabituels.
De quelle manière ?
Prenons l'exemple du lot A : il reflète une très forte ambition puisque nous avons réduit la présence du béton dans ce bâtiment à la structure verticale. Les planchers sont mixtes bois-béton et la façade est à ossature bois avec remplissage en paille enduite. Dès le stade du concours, nous savions qu'il faudrait investir dans de la recherche pour pouvoir utiliser la paille de la sorte, procédé très innovant qui ne disposait pas des ATEX (appréciation technique d’expérimentation) nécessaires pour un bâtiment de cette hauteur. Cela demande un budget supplémentaire pour les essais, cela tend à allonger la durée des études et cela introduit de l'incertitude quant à la possibilité de réaliser le projet tel que nous l'avons retenu au stade du concours.
Or pour nous il est important de respecter le choix que nous avons fait à ce moment-là. Parce que nous nous engageons auprès du jury, de l’aménageur, des acteurs du territoire, et dans le cas du lot A, vis-à-vis de la Foncière de la Ville de Paris, parce qu'il y a eu de la communication autour du projet. Autant de raisons qui nous ont poussés à rechercher activement des solutions pour conserver l’utilisation de la paille et garantir la faisabilité du projet.
Quelles stratégies constructives avez-vous adoptées pour atteindre les objectifs ?
La stratégie constructive du lot A [R+10] découle directement de la hauteur de l’édifice : concentrer l’ambition constructive sur l’enveloppe, en libérant la structure du maximum de contraintes. Ainsi, la structure est constituée de poteaux-poutres béton et dalles mixtes bois-béton. La façade, rapportée à cette structure, est pleinement mise au profit des ambitions biosourcées et décarbonées. Elle est finalement composée de paille hachée, alternative à la paille en botte ayant déjà obtenu une ATEX, contenue dans des caissons bois, et revêtue d’un enduit sur panneau ventilé. Des corniches en béton recoupent l’édifice à tous niveaux tout en structurant le projet architectural. Leur rôle est multiple : protéger la paille et l’enduit de l’eau, assurer un rôle coupe-feu entre les niveaux, créer des balcons.
Et pour le lot C ?
Le lot C est en pierre massive, avec de la pierre porteuse sur les deux façades et des murs de refends également en pierre ; les planchers sont en béton. La technicité est moindre ici que pour le lot A, mais il y a d’autres enjeux. Se pose en particulier la question de l'approvisionnement en pierre, qui devra être d’une qualité adaptée techniquement et financièrement au projet et si possible issue de carrières françaises. C’est un sujet de préoccupation pour la maîtrise d’œuvre, car la demande en pierre est croissante. Nous ne sommes pas inquiets car nous avons déjà construit plusieurs bâtiments en pierre sans rencontrer de problème d’approvisionnement, mais il nous faut rester vigilants.
À quel stade avez-vous évalué les coûts et quels arbitrages avez-vous fait ?
Nous avons d'abord cherché à respecter les engagements liés aux performances environnementales de la ZAC. Pour le lot A en BRS, il était clair dès le départ que le projet était plus contraint budgétairement. D'abord le BRS ne donne pas lieu aux mêmes subventions que le logement locatif social, ensuite la Foncière de la Ville de Paris a un modèle économique plus contraint où la commercialisation des logements va financer son investissement dans le bâtiment et, comme il s'agit d'accession sociale, ces recettes sont forcément limitées. La maîtrise d'œuvre a vraiment joué le jeu pour rentrer dans le budget. Pour le lot C, nous avons demandé à la maîtrise d’œuvre de proposer des variantes économiques à intégrer dans le dossier de consultation des entreprises, sous forme d’options. Après remise des propositions des entreprises, nous arbitrerons les options retenues tout en veillant à respecter les objectifs environnementaux de l’aménageur.
Vous avez fait le choix de la pierre au départ, une solution a priori coûteuse…
Nous le savions bien, mais la pierre est aussi un matériau très pérenne. Nous avons donc fait ce choix en connaissance de cause au moment du concours. Par ailleurs, le projet lauréat n’était pas le seul à proposer un bâtiment en pierre et il répondait particulièrement bien à l’ensemble des données d’entrée de l’opération.
Le choix de la maîtrise d’œuvre de prévoir des murs de refends en pierre, en plus des façades, pèse sur le budget et c’est une piste d’économie qui a été évoquée. Cependant, ces murs en pierre contribuent à l’inertie thermique du bâtiment et donc à un meilleur confort pour les futurs habitants des logements.
Quelle aurait pu être l'alternative à ces refends en pierre ?
Des murs à ossature bois, mais alors c'est l'inertie du bâtiment et son schéma structurel qui sont remis en cause ! À partir du moment où les études sont lancées et que le projet est développé dans un sens, il est très difficile de revenir dessus parce que cela fait bouger tous les curseurs environnementaux.
Quels enseignements retirez-vous de ces projets, à ce stade, avant la consultation des entreprises ?
Pour le maître d’ouvrage, il s’agit de trouver le juste équilibre entre respect du travail de conception architecturale et réalités économiques. Je crois que nous sommes au maximum de ce que nous pouvons atteindre avec notre manière de faire actuelle. C’est vrai que nous sommes face à un projet où il paraît difficile de trouver des pistes d’économie. D’abord parce qu'il s’agit de prestations assez standards correspondant à notre cahier des charges, mais aussi parce que dès qu'on touche à quelque chose « tout s’écroule » tant les différents aspects de la conception sont imbriqués et contribuent chacun à la performance environnementale du projet.
Il faut ajouter que les exigences environnementales de Chapelle Charbon s’accompagnent d’exigences de qualité d'usage et de qualité architecturale qui rejoignent la sensibilité architecturale et la qualité de vie que nous souhaitons apporter aux futurs habitants. Respecter cet ensemble de contraintes en maintenant un coût de travaux raisonnable est un défi que la RIVP veut relever en s’appuyant sur ses partenaires de travail que sont les architectes. Cela passe par un cadrage très serré du budget et des prestations dès le départ, la mise à jour régulière de nos cahiers des charges en fonction des retours d’expérience, ainsi que l’arbitrage de certains points le plus en amont possible.
1BRS : bail réel solidaire. La Foncière, propriétaire du bâtiment, cède via ce bail un droit réel d’usage de très longue durée aux ménages sur les logements. Le prix de vente de ce droit est plafonné et l’éligibilité des acquéreurs est soumise à un plafond de ressources.
Maîtrises d’œuvre
Lot A
Architectes : Palast, Grand Huit
Paysagiste : Nebia
Bureaux d’études : Stramen, ZEFCO
Lot C
Architectes : Atelier Villemard, Heros
Paysagiste : LS2
Bureaux d’études : C&E, INEX